CACHEZ CETTE BÊTE QUE JE NE SAURAIS ABATTRE

Qui pourrait croire qu’une fleur de macadam en vient à troquer ses talons aiguilles contre une paire de bottes de « presque sept lieux » si j’en crois la pointure?

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Grand-mère, petit-fils Guillaume et son copain Jean-Patrice
« J’ai promis à Guillaume d’aller à la chasse cet automne à condition que tu viennes avec nous »
L’homme de ma vie qui ne tuerait pas une mouche, qui protège les toiles d’araignées par respect pour le travail des insectes, sauvegarde le monde des fourmis, nourrit les oiseaux, (les écureuils aussi) Son invitation me déconcerte. Je n’en revient pas. Je suis estomaquée.
« Juste à penser à ces amours de chevreuils qui se baladent sur les parcours de golf l`été et dans les vergers à la saison des pommes, j’ai le cœur en chamaille. C’est trop me demander »
Après mûre réflexion (une heure tout au plus), je me résigne à les accompagner, c’est-à-dire à faire les neuf heures de route (700 kilomètres)qui nous séparent de la Gaspésie, dans la neige par surcroît ( ce que « miss météo » n’avait pas prévue) en me disant que j’abandonnerai mes deux chasseurs une fois arrivés à destination pour aller me réfugier à l’Auberge face à la mer, lire, marcher le long de la grève, visiter le village et les boutiques d’artisanats que j’adore.

Général-garde-à-vous, (c’est le surnom affectueux que je donne à mon petit-fils) et le grand-père sont ravis à l’idée que la grand-mère se plie à leur caprice. (pas pour longtemps, ils l’apprendront bien assez tôt)
De connivence, ils ont convenu du jour et de l’heure du départ : samedi à minuit. Pourquoi minuit? Parce que nous allions à l’Opéra pour entendre notre nièce chanter dans Roméo et Juliette
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Mon pays c’est l’hiver…
Nous roulons toute la nuit, dans la tempête (comme je disais) à cause de l’ouragan « Noël » qui traversait le Nouveau-Brunswick, et la Nouvelle-Écosse, éclaboussant la Gaspésie sur son passage.

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Avec plus de trois heures de retard, nous quittons la route pour un petit sentier qui nous mène à l’orée de la forêt où Patrice et Nathalie nous attendent les bras ouverts. Pour nous accueillir, Nathalie a préparé une entrée de foie de chevreuil. Celui qu’elle a chassé la veille.
Ici, repose les vestiges d’une planeuse datant du début du siècle passé.

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C’est la tradition. Nous faisons le tour du propriétaire. Patrice nous fait visiter ses arpents (pas encore de neige), mais de forêt à perte de vue. (Nous sommes dans la Baie des Chaleurs et la neige a épargné cette région).

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Un barrage qui retient les eaux du lac à la truite

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Maggie, la petite dernière, dans les bras de Patrice notre hôte en compagnie de Sultan l’inséparable aide de camp.
Guillaume retrouve Jean-Patrice (GPI) son copain de toujours. Dans une heure, ils s’enfonceront à des kilomètres dans la forêt pour atteindre la cache où ils feront le guet, jusqu’à la tombée du jour, espérant voir poindre la bête convoitée. Soit dit en passant, il aura fallu dix ans de chasse interdite pour protéger la croissance du cheptel gaspésien. Ce n’est que depuis trois ans que celle-ci est permise chez les mâles seulement.
Plutôt que d’aller à l’Auberge comme prévu, je colle au décor. L’odeur de la terre mouillée, le clapotis du ruisseau qui serpente le terrain, le chant des oiseaux me dépaysent et m’apprivoisent. Je redécouvre un monde que j’avais oublié. Un monde en harmonie avec la nature, un monde qui dépend d’elle, qui lui fait confiance, un monde admirateur et respectueux de la plus infime parcelle de vie.

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Le centrifuge De Laval me rappelle mon enfance et le souvenir de mon grand-père, représentant de la compagnie du même nom.
Je me réconcilie. Demain je n’irai pas au village. J’irai dans la forêt avec Nathalie, carabine à l’épaule, accompagnée de son chien Sultan une énorme bête (73 kilos) qui se prend pour un chihuahua et se laisse caresser. J’enfoncerai les pieds dans la boue, J’apprendrai à reconnaître les pistes d’animaux, je les suivrai. Je serai tout oreilles pour saisir le moindre craquement de feuilles. Je regarderai à travers les yeux de ma compagne qui perçoit le moindre indice d’une présence.
Me voici prise au jeu, me surprenant souhaiter profondément que Guillaume ne revienne pas les mains vides.
Demain j’irai à la cache là où les chasseurs se dissimulent et attendent l’instant… Ils s’y rendent avant l’aurore, à l’heure où les bêtes s’abreuvent à la rivière et se nourrissent de pommes sauvages.

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La cache, palais du chasseur.
Grand-père qui n’avait pas l’intention de manier l’arme laisse au petit-fils (ingénieur en aéronautique et militaire par surcroît) la volonté de poser le geste. Il accepta cependant de partager la cache souhaitant sans doute vivre à son côté un moment d’intense émotion.
16 h 30 un coup de feu résonne dans la forêt. Le projectile a atteint sa cible. C’est l’euphorie! Comme le veut la tradition, au retour de la cache, Guillaume, Jean-Patrice et Nathalie sablent le champagne en présence de Mario, l’artiste.

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« Grand-papa j’ai mon chevreuil et tu étais avec moi, nous étions ensemble, c’est ce que je souhaitais le plus. Merci!
Un aveu qui va droit au cœur du grand-père et n’a pas de prix.

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Je ne suis pas allée au village, je n’ai pas ouvert un livre, mais plus tard, j’ai marché longuement sur la grève pendant que le soleil se couchait à l’horizon.

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La forêt, la mer, la nature avaient eu raison de moi me faisant accepter le but de notre voyage, celui de répéter ce geste tribal qui remonte à la nuit des temps.

9 commentaires sur “CACHEZ CETTE BÊTE QUE JE NE SAURAIS ABATTRE

  1. Il y a un temps pour tout !
    Celui de l’impétuosité de la jeunesse, où l’on fait tourner le monde autour de soi, où le petit fils ardent aime et chasse, même le chevreuil permis. Puis pour lui aussi, viendra celui des cheveux gris, celui où on est plus en harmonie avec l’araignée, l’oiseau ou l’orignal, celui où on veille sur une nature où l’on retournera bientôt.
    Tu as fait un immense plaisir aux hommes de ta tribu, et j’ai lu avec passion le récit de tes émotions. Il y plus de 30 ans que mon fusil prend la poussière, mais si un de mes petits enfants me demandaient de l’accompagner dans une expédition raisonnable, je le ferai aussi, les mains nues.
    Bonne journée
    Le grillon

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  2. Que d’émotion!
    Moi, aussi je suis pour les animaux, protéger les écureuils, les chevreuils, toutes les petites et grosses bêtes etc…mais ayant eu un mari chasseur, pas facile de refuser une journée avec lui…
    Mais les heures passées dans la forêt, à arpenter des kilomètres sans rencontrer un humain… écouter vivre ce monde était pour moi un enchantement, une cure de bien-être…
    Le gibier était plutôt rare, alors mon coeur ne se révoltait pas trop souvent… et puis la joie de mon mari quand il avait réussi son tir…
    Tout cela, reste pour moi des moments merveilleux…

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  3. quel beau souvenir!je vois que ce fut une fin de semaine que tu n’oublieras pas de si tot!tout ce lisait tres bien dans les yeux de ton amoureux ,le plaisir de rendre son petit fils heureux ,la joie d’etre avec Guillaume lors du moment qu’ils attendaient!Dorénavent la cache de nath s’appellera :Le palais du chasseur!c’est tres bien ton blogue,tu as fais le tour.salut Nathalie

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  4. bonjour
    quel beau pays chez toi, par contre je ne t’envie pas pour la neige.
    je n’ais jamais été à une chasse quelconque celà doit être impressionnant, le gros gibier.
    bonne soirée

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  5. En te lisant je crois voir un film , lire un roman d’aventure , tu expliques si bien , partir la nuit dans la neige , faire 700 km sans problèmes , et aboutir à ce qui était désiré , c’est une vraie chance ! Bravo aux hommes de ta vie qui t’ont permis de vivre cette joie avec eux !
    ma fille qui s’appeiie Pierrette comme toi , est allée au Canada en été , il y a 6 ans déjà , elle m’a ramené du sirop d’érable et a trouvé ce pays grandiose !
    Merci de ta visite et bonne continuation dans ton blog , tu arrives à nous surprendre et nous dépayser dans tes notes ! Merci , bises du soir : huguette …

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  6. Très jolie balade, qui me rafraîchit , surtout la fin….
    Je ne veux stigmatiser personne, mais je réprouve la chasse .Je lui préfère la capture d’animaux sauvages au travers d’un boîtier photos
    Désolée
    Mme Tote

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  7. C’est vrai que c’est toujours dur de suivre un chasseur, lorsqu’on n’est pas fasciné par ce sport.
    Ton récit est magnifique. Comme tu le dis, le principal c’est de passer des heures dans la nature à écouter les bruits, le silence, à admirer la forêt.
    Mon beau-père qui lui était un passionné de chasse à courre, m’a entraîné de nombreuses fois à suivre ses chasses à courre. L’ensemble me plaisiat bien, mais je n’aimas pas du tout la fin, avec la mise à mort, et la curée des chiens, sauf lorsque l’animal (cerf ou chevreuil) arrivait à s’échapper et à perdre les chiens : ça, j’aimais bien….
    Amitiés
    Jean-Louis

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