Vaut mieux savoir accorder ses violons

Vous êtes en train de lire Stéphane Laporte sur votre tablette dans la Presse, quand l’homme de votre vie se lève pour desservir la table du petit déjeuner.

Vous cessez de lire pour éclater de rire.

Humm! Pourquoi ris-tu?

Vous répondez sur le champ et en riant : je pense à l’expression «accorder ses violons ».

Devrais-je ajouter que le geste me rappelle celui de tante Aglaée qui voulait être utile?  Du coup, je pense papa et à son soi-disant «foie lent.»

Tante Aglaée était une petite dame septuagénaire et veuve. Elle avait fait carrière dans la haute couture à une époque où ses richissimes clientes collectionnaient les magazines provenant de France (Marie-Claire et autres) puis se rendait ensuite à New York choisir les tissus exclusifs importés d’Europe.

Oeil de lynx et doigts de fée, tante Aglaée réalisait des merveilles s’inspirant de créations de grands couturiers de l’époque ajustant à l’inspiration les dimensions de la demanderesse. Ce qui faisait dire aux envieuses qu’Aglaée faisait des miracles.

Tante Aglaée était jolie, élégante à toutes heures. Le jour, elle se coiffait d’un magnifique chignon blanc comme neige qu’elle dénouait le soir. (l’Oréal Paris n’existait pas encore)

Petite fille, je ne me lassais pas de voir ma chère grand-tante (sœur de ma grand-maman) brosser cette abondante chevelure, puis la natter en une longue tresse avant d’aller au lit, afin d’éviter les nœuds durant le sommeil.

Sur ces vieux jours, dans la soixantaine (c’était une vieille personne à l’époque). Libre comme l’air, elle migrait «d’une parenté à l’autre » pour y séjourner quelques mois et se rendre utile.

Chez-moi et mes parents, elle renouvelait la garde-robe de ma mère et cousait grandiosement ma robe de couvent taillée dans une pièce de Serge anglaise achetée à la Compagnie Paquet, rue St  Joseph.

Sans jamais passer outre, bon gré mal gré, elle s’offrait le plaisir de desservir la table (dans le but d’être utile) puis retournait rapidement terminer un ourlet ou achever le dernier puzzle en cours. C’était pour elle une évasion, une passion.

Ce qui avait le don de mettre mon père en furie, était le moment ou d’un premier geste solennel, dressée au garde à vous, sans un mot de sa part, elle retirait sa tasse à thé « Queen Ann Bone china» en guise de mise en branle de ses petits boulots.

«Mon foie est lent ce matin » mâchonnait mon père, assis au bout de la table, rongeant son frein et empruntant une voix plaintive croyant que tante Aglaée capterait le message sournois et ne desservirait plus les couverts du petit déjeuner avant qu’il ait terminé de siroter son café du samedi matin.

Ce que le paternel omettait de dire à propos de la lenteur de son foie, c’est d’avoir bouffé la boîte de Laura Secord, ses chocolats préférés en écoutant à la radio, son émission préférée de la veille.

Tant qu’il y a vie, il y a espoir

Vendredi 3 avril 2020, septième jour de votre deuxième quarantaine volontaire. 

Ce n’est pas aujourd’hui que vous irez magasiner, comme il y a très longtemps jadis, pour votre traditionnel « bibi » de Pâques avec voilette qui enveloppe le visage sans ombrager le regard ou le sourire.  Pas à petit-prix le divin chapeau, puisqu’il va vous chercher des heures de labeur. J’ai bien dit des heures de labeur, à l’étudiante du conservatoire qui travaille, le meilleur de ses temps libres, à vendre des boutons à la compagnie Paquette, magasin spécialisé dans les ornements et vêtements religieux à l’époque. Vous aviez dix-huit ans, vous en avez 88, bientôt 89. Les filles Paquette vos amies avaient fréquenté le même couvent que vous de même que la jumelle de mademoiselle Duquette, modiste de chapeau rue Buade situé à deux pas de la Basilique de Québec, lieu des retrouvailles de ce beau monde élégamment coiffé le jour de Pâques. Plus de secrets pour vous. Vous comprenez pourquoi vous vendez des accessoires de couture.

Soixante ans plus tard, vous voilà, vous avez bien dit, au septième jour de votre deuxième quarantaine volontaire. Pour être la grand-mère de deux petites-filles médecin, vous ne riez pas. Vous suivez religieusement les directives de votre premier ministre, qui s’évertue pour ne pas trop perdre de ses aînés parfois délinquants, victimes de la pandémie qui afflige la planète. Durant ces interminables heures ou la vie, les symptômes et la mort sont comptabilisés, vous avez eu le temps de feuilleter toutes les recettes précieusement accumulées dans un rayon de la bibliothèque familiale. Celles de votre mère, de vos voisines et meilleures amies, celles de Monique Chevrier et celles de Jehanne Benoit, selon vous, la Bocuse de la cuisine québécoise. Enchantée des moyens de communiquer du moment, vous avez aussi rejoint toutes les filles de votre tribu qui ont formé un groupe sur le web. Vous en avez profité pour leur glisser la suggestion d’une recette favorite qui remonte à vos menus familiaux du siècle dernier. La quarantaine n’arrête pas le progrès.

Vous avez partagé des heures en présence de l’homme de votre vie. Quatre yeux rivés sur les 500 pièces d’un puzzle offert par monsieur Gendre et madame Fille à Noël passé. Comme s’ils avaient eu prémonition, de ce que vous alliez vivre en vous offrant matière à passer le temps. On ne se crêpe pas le chignon devant un casse-tête de la sorte. (Voir sur mon blogue: « le casse-tête de la quarantaine »).

Entre-temps votre tribu s’est agrandie une fois de plus d’une Pitchounette prénommée tout en douceur « Rose ». Rose est la sœur de Jade, 2 ans, ayant pour maman la fille de votre propre fille. Vous voilà une fois de plus au faîte de quatre générations de mère en fille.

Elle est belle la petiote et la vie lui appartient. Elle est née le 26 mars. Le lendemain, arrivée au bout de son âge, comme le dit la chanson de Jean Ferra, votre belle-sœur nonagénaire vous quitte pour aller retrouver son conjoint décédé quelques mois plus tôt.

Comme quoi, une fois de plus, en pensant au bonheur que vous procure la naissance de Rose, vous avez la preuve que « tant qu’il y a vie, il y a espoir ».

TOI ET TON POISSON D’AVRIL

Nous sommes en plein cœur de la quarantaine volontaire de notre tribu. Aujourd’hui, premier avril 2020, jour du « POISSON D’AVRIL! »  Aussi loin que je me souvienne, courir le poisson d’avril fait partie de nos habitudes les plus chaleureusement maintenues. Pour beaucoup d’entre- nous, cette coutume remonte à notre enfance et c’est tant mieux.

« Vite, lève-toi et viens voir à la fenêtre, il y a un immense ballon dans le ciel. Une fois le tout p’tit levé et arrivé devant la fenêtre, voyant qu’il n’y a rien, vous lancez fièrement : Poisson d’avril et les rires éclatent ».

Durant des années, j’ai fait courir le poisson d’avril à mes enfants d’abord, puis à mes petits-enfants et encore. Bientôt ce sera à mes neuf arrières en leur téléphonant très tôt le matin, du premier avril, les invitant à aller voir dans la fenêtre tantôt le gros ballon dans le ciel, tantôt un voilier d’outardes et tantôt l’un de leurs personnages préférés. Si je parvenais à les faire lever, les prendre au piège, je m’exclamais sur le champ, riant à gorge déployée « poisson d’avril ».

« Grand-maman toi et ton poisson d’avril! »

En y pensant bien, j’avais trouvé là une façon joyeuse de les rejoindre, une raison de communiquer avec eux. Plus tard, « Faire courir le poisson d’avril devint mon excuse pour retrouver, au moins une fois l’an des êtres chers, des amis, des connaissances, des voisins.

L’appel se terminant par des éclats de rire.  «tu m’as bien eu. »  Avec le temps, il  me faut jamais oublier le premier avril sans quoi, on se demandera ce qui ne va pas.

Ce matin, je viens tout juste de courir le poisson d’avril. L’arroseuse est arrosée!

Si je voulais vous faire courir le poisson d’avril ce matin, qu’est-ce que je vous raconterais? qu’est-ce que j’imaginerais pour vous faire mordre à l’hameçon?  À l’œuvre maintenant et Joyeux Poisson d’avril.