Faut que je vous raconte

Vous aviez raison,  il y a déjà deux ans de cela. C’était avant la pandémie, avant les confinements, avant les quarantaines, les éclosions, les dépistages, les vaccinations.

Bref, c’était avant…

Un jour, à l’arrivée du printemps, vous aviez observé le va-et-vient d’une corneille dans vos parages. « Si je tentais d’apprivoiser la demoiselle pour découvrir les secrets de ses comportements, l’observer de plus près »?   Ce n’est pas sa beauté qui la rend agréable à voir. La corneille a un petit quelque chose qui attire sans trop savoir. C’est sans doute l’oiseau le plus intelligent selon les critères de l’homme, dit-on. Vous devriez savoir!  Vous êtes entourée d’oiseaux: «Pic-bois», merles, mésanges, sittelles, juncos, chardonnerets fréquentent vos mangeoires. À chaque arrivée d’un printemps, vous hébergez vos mystérieux colibris qui repartent à l’automne.

Pour revenir à votre corneille préférée, elle répond dorénavant à l’appel que vous lancez à tout venant dès que vous apercevez l’oiseau noir juché sur la toiture de votre voisin. «Viens manger»,  vous répétez deux fois l’invitation, plutôt qu’une. Aussitôt, votre (Corvus brachyrhynchos  450g. environ) déploie ses larges ailes (envergure 84 -102 cm). Vol plané pour un moment, elle dépose ses impressionnantes pattes sur le bras de votre galerie toujours au même endroit.  Vous lui tendez un croûton de pain qu’elle déguste goulûment puis au revoir, elle repart vers ses petits.

L’année suivante, vous l’attendez patiemment.  Voilà ma corneille lancez-vous dans un cri viscéral. L’Homme absorbé dans ses calculs sursaute légèrement. Il n’en est pas à ses débuts.

Elle revient. Le cri revient aussi. La dame en noir et en beauté (il s’agit de la corneille) défiant sa lourdeur, se dépose agilement au même endroit, sur le bras de la galerie pour recevoir sa pitance.

Elle a répondu à votre appel (viens manger-2 fois). C’est bien elle. Aucun doute. La joie est dans l’air.

Nous voici en décembre 2021.

Vous, à cause de la pandémie, toujours aussi masqué que soit le fantôme de l’opéra, ne cessez de cligner de l’œil à force de porter le masque, ce que les mordus de la langue appellent le cache-visage qui vous blesse la paupière inférieure, vous  prive inlassablement d’ouvrir grandes les (mirettes) en parlant des yeux chez les copines blogueuses d’outre-mer.  

Les mois passent. Covid 19 tient tête. Et la neige a neigé, comme dans la chanson de l’adorable JP.Ferland. Les nuages sont revenus.  Vous avez l’âme à la poésie en dépit de la pandémie qui perdure.    

 Votre corneille d’Amérique de la famille des corvidés affectueusement surnommée la Comtesse fait partie du décor. Elle est même garante du territoire. De plus, elle garde un œil sombre sur le geai bleu aussi de la famille des corvidés qui se gave d’arachides en écailles, rien de moins, courtoisie de la dame de la maison (vous).

Perchée à portée de votre regard de lynx, vous serez bientôt témoin oculaire d’une sorte  de joute endiablée de la part de votre Comtesse. «Grand-maman tu charries un peu», murmurent gentiment  vos pitchounettes adorées.

Attendez que je vous raconte.

On se souviendra. La Comtesse perchée à la cime de votre majestueux chêne surveille au sol le déploiement de sa victime qui agrippe l’arachide, prend son envol,  se dirige tout droit vers le sous-bois à l’abri des regards y déguster le fruit de son labeur.

C’en ait fait! Dans un grand fracas d’ailes suivi d’une plongée en chute vertigineuse, votre corneille bien-aimée prend en chasse le gamin de geai bleu apeuré qui laisse du coup tomber son arachide au profit de la Mégère (votre corneille) qui s’en empare outrageusement. Le tour est joué et vous ne comptez plus le nombre de fois que la scène se répète.  

Songeuse, à quoi penses-tu demande l’homme de votre vie?

Quand l’après…

LE PIED DANS LES RACINES

Viens voir, vite, viens voir! lorsque vous insistez de la sorte, ce doit être qu’il se passe quelque chose à ne pas rater. Votre fidèle  (Entendeur, salut)  est  aguerri de vos «viens vite voir» n’en déplaise. Il s’approche tout doucement dans  la direction suggérée. Deux de vos adorables Pitchounettes (quatrième génération dans la tribu) l’une sept ans et l’autre bientôt quatre ans, sont assises dans l’escalier qui mène à l’étage,  observant scrupuleusement chaque photo de la tribu prise  rituellement au  fil des ans;  même jour, même heure et même circonstance,  le Noël et sa magie.

 Sans nuire à la concentration des petites, à leur curiosité grandissante, à leur besoin de savoir, de connaître, allant jusqu’à la surprise de  retrouver leur petite personne  ici et là au milieu des grands, lançant au passage un joyeux c’est moi. Regarde c’est moi dans les bras de papa.   

Et l’autre d’ajouter Regarde, c’est moi aussi, je suis là.  Et voici naître l’apprentissage de cet indispensable et indéniable sentiment d’appartenance. Ce besoin d’occuper un rôle, d’avoir une place parmi les autres. Un espace désigné au sein de la famille, de la tribu.

Puis, lentement le regard rejoint le petit doigt jusqu’à le poser sur le visage des uns et des autres et tenter de mémoriser que ce soit celui d’une tante, d’un parrain, un cousin des grands-parents; les prénoms s’imprègnent  dans la mémoire, les visages s’y fixent à jamais. Pas étonnant que les uns et les autres acquièrent des liens  de confiance, acceptent l’autre dans son entité, fraternisent, se découvre une identité. « Et si c’était çà  une  éducation par imprégnation qui se donne plutôt que par imposition?  Et c’est la meilleure, aurait sûrement ajouté cette merveilleuse collaboratrice à la revue des Fermières dont j’étais l’Éditrice et directrice à l’époque. Cette Femme d’exception que fut France Quéré, Théologienne, conférencière, Auteure de nombreux articles et livres dont La famille publié aux Éditions du Seuil.

Debout derrière vos deux admirables G4, ce mur pavoisé de  photos  ne vous a jamais paru aussi beau.  Dire que nous étions deux murmurez-vous. Votre Complice de mari d’ajouter: Et dire qu’aujourd’hui, nous sommes trente-et-un. Qui aurait pu penser…