DE MÈRE EN FILLE – QUATRE GÉNÉRATIONS

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Vous êtes grand-mère neuf fois plutôt qu’une (pour reprendre l’expression, lorsque le sujet est jugé digne d’attirer l’attention ou de provoquer l’admiration. 

Depuis ces huit dernières  années, sans heurt et sans douleur, trois de vos descendants de la troisième génération, Éric, Guillaume et Anthony, vous ont propulsée au titre de vénérable arrière-grand-mère. Ce qui n’est  pas peu dire. Dès lors, vous régnez au faîte d’une tribu de quatre générations grâce à vos six arrières-trésors, tous en chair et en os. Julien, Charlotte, Ella, Arthur, Laila, Thomas. Inéluctablement, s’écrit une belle histoire.

L’un de ces quatre matins, vous êtes assise, l’ordi sur vos genoux, les yeux levés au ciel à la recherche, non pas du temps perdu, comme le célèbre Proust, mais d’une anecdote savoureuse à raconter dans votre journal.  Arrive l’une de vos adorables petites-filles.

Grand-maman …! L’intonation de la voix en dit long et retient votre attention. Suit ce silence qui parle de lui-même et que l’on n’interrompt pas pour tout l’or au monde.  Vous présagez déjà la suite. Vous n’allez pas au-devant de la nouvelle pour ne pas atténuer la joie de l’annonce.  Discrète, attentive, sans l’ombre d’un mot, vous plongez votre regard de grand-mère comblée dans celui de la fille de votre fille Cindy.

Les yeux de la Pitchounette brillent d’un éclat inhabituel. En un regard, tout est dit. Dans une famille, il y a de ces non-dits, de ces expressions qui se lisent dans les visages, se perpétuent d’une génération à l’autre.

Le silence se rompt: elle vous annonce comme par enchantement: «C’est pour janvier!» Vous avez tout saisi.

Vous, la fière grand-mère dont on commente abondamment, dans les journaux ou sur la place publique, la performance ou les succès de votre illustre tribu; dans un élan d’exaltation et sans l’ombre d’un doute, vous lancez gaillardement : Youpee! C’est merveilleux! Cindy, votre fille ajoute sur le même ton : » cela veut dire que nous serons quatre générations de mère en fille pour la deuxième fois, comme au moment de la naissance de Tanya.

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Sur la photo: Les quatre-générations de mère en fille. Vous, votre fille Cindy et votre petite-fille Tanya qui repose dans les bras d’Yvonne, son arrière grand-maman maternelle. Dans les bras de cette même arrière grand-maman cette fois paternelle, Rachel la cousine, en compagnie de sa maman Annie et de sa grand-maman Claudine.  

Le silence garde son souffle et se rabat sur votre propos.

Mais grand-maman! (C’est au tour de la petite-fille médecin de ramener sa grand-mère les deux pieds sur terre) « Je ne sais même pas si c’est une fille ou un garçon. Le foetus est de la taille d’un haricot tout au plus ».

Attendons! C’est le ton teinté de sagesse de la grand-mère qui ajoute son mot. Vous précisez qu’un garçon ou une fille ne changera rien à l’amour que vous porterez au poupon de votre petite-fille.

Arrive le troisième mois, il y a quelques jours de cela. Au tour de Madame votre fille de vous téléphoner : «As-tu ouvert tes mails? Va voir sur ton ordi, j’attends au bout du fil ». On ne rit pas. L’ordre est donné. 

La pitchounette apparaît sur votre écran. Vous n’en croyez pas vos yeux. La vignette est rose. Pour l’instant, tout est dit.

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La joie dans l’âme, une fois de plus, vous fredonnez Bachelet et sa merveille de chanson:

« Quand l’enfant viendra poser sa vie,

dans ce lit de bois que j’ai fait pour lui,

je dirai merci… »