Blogueurs, Blogueuses, je vous admire!

Ce matin, avant même de faire le tour de mon jardin, de saluer mon arbre, de redresser la tige d’une fleur, de voir si les oisillons ont quitté le nid, j’ai visité vos blogs. Ils sont tous plus captivants les uns les autres.
Je vous félicite, vous êtes des photographes hors pair. Je vous admire. En vous lisant, j’ai l’impression de vous visiter, de vous entendre raconter, de vous connaître. Tantôt, je découvre une recette, tantôt un coin de pays que je ne connais pas encore, tantôt un auteur, une chanson et c’est merveilleux!
Félicitations à vous tous qui habitez si bien votre blog.
Je vous dis à bientôt et à mon tour, je vous laisse sur une photo qui vaut mille mots : un geste d’enfant .
Sonia, la maman est mon adorable belle-fille allaitant ma petite-fille Iseult en présence de sa sœur Fiona qui avait tant souhaité avoir un frère-fille plutôt qu’un deuxième frérot.

medium_IMG_0045.2.jpg

Mon arbre

N’est-ce pas qu’il est joli mon arbre?
Depuis hier, mon arbre a un visage.
Il me rappelle la très belle chanson intitulée: Mon arbre de Gilbert Bécaud.
medium_DSCN0250arbre.JPG
Il avait poussé par hasard
Dans notre cour sans le savoir
Comme un aveugle dans le noir
Mon arbre
Je savais qu’à force d’amour
Avec un peu d’eau tous les jours
Il ferait exploser la cour
Mon arbre


Mon arbre aussi a grandi dans ma cour.
Il dépasse abondamment le toit de ma maison.
C’est un érable.

Le printemps venu (le temps des sucres), l’homme de ma vie se transforme en acériculteur et l’entaille délicatement pour ne pas le blesser.
Ainsi, nous récoltons des litres d’eau d’érable que je fais bouillir pour en obtenir notre sirop tant attendu le jour de Pâques.
Rappelons-nous qu’il faudra entre et 20 et 40 litres d’eau d’érable pour obtenir un litre de sirop.
Avouez que mon arbre mérite bien un visage n’est-ce pas?

Tante Joséphine et ses pique-niques à l’Anse-à-Gilles

1-L1040331.JPG

Quand elle téléphonait de Montréal pour annoncer sa visite, tante Joséphine soulevait un vent de panique dans la famille. D’abord, en ordonnant à ma mère de rejoindre la parenté du Bas-du-Fleuve (comme elle se plaisait à dire en parlant des gens entre Montmagny et la Gaspésie) afin de mettre tout les préparatifs en branle pour notre pique-nique annuel à l’Anse-à-Gilles. Un joli coin de villégiature situé sur la Rive-Sud du Saint-Laurent, à quelques kilomètres en aval de Montmagny.

Tante Joséphine était la sœur de mon grand-père Alfred. Jeune encore, elle avait quitté sa paroisse, Saint-Thomas de Montmagny, pour émigrer à Montréal et gagner sa vie dans la couture. Elle travaillait chez Savile Row, maison spécialisée dans la confection de complets haut de gamme. Tous le savaient, déformation professionnelle ou fierté personnelle? Mystère. Rien ne lui échappait, et ce, au grand désarroi des mâles de la famille. D’un regard, la couturière expérimentée ne pouvait résister à la tentation d’évaluer la qualité d’un vêtement : l’étoffe, la coupe, la confection; les revers et les boutonnières. Boutonnières surtout. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu un oncle retirer son veston plutôt que de l’exposer à l’œil redoutable de Joséphine.

L’experte qui se vantait de travailler pour un bourgeois exceptionnel (en parlant de son patron, qui n’avait rien du Juif errant) se spécialisait dans la confection des boutonnières françaises et des revers piqués main. Chez Savile Row, le « Hugo Boss » de l’époque, ils avaient compris que pour se démarquer, il fallait convaincre le client qu’en s’affichant dans un complet griffé « Savile Row » il allait se distinguer du commun des mortels.

Sa spécialité, sa compétence et le fait d’avoir quitté son patelin pour faire carrière dans la métropole procuraient à l’aventurière, un sentiment de supériorité qui frisait l’arrogance.

Indéniablement, grâce à cette migration vers la grande ville, la demoiselle avait acquis une aisance peu ordinaire. À l’occasion, pour se distinguer, notre Montréalaise d’adoption laissait échapper tout bonnement quelques phrases dans la langue de Shakespeare. Ou mieux, elle cessait tout grasseyement pour rouler ses « R » à la façon des gens de la grande métropole.

Elle n’hésitait pas non plus, aux premiers signes du printemps de nous rappeler que les montréalais étaient déjà en souliers tandis qu’à Québec nous barbotions encore dans la neige fondante. Défiant le froid et le vent, elle portait bibi à fleurs avant que ma mère ait remisé son feutre. Bref, tante Joséphine, toujours tirée à quatre épingles, faisait sentir à tous et chacun que grâce à sa débrouillardise, si jamais elle revenait habiter la vieille Capitale, ce serait chez les gens de la haute (pour ne pas dire les gens riches) qu’elle irait frayer.

Haute comme trois pommes et bien en chair, l’illustre dame escamotait son embonpoint dans un « Spencer », fabriqué sur mesure chez « Dominion Corset », une entreprise florissante qui avait pignon sur rue dans un quartier de la basse-ville de Québec

Abondamment baleiné et lacé tout au long de la colonne vertébrale, l’indispensable corset était généralement taillé dans une sorte de brocart délicatement fleuri ton sur ton et conçu pour résister à toute épreuve. Année après année, Joséphine commandait l’objet de torture chez Rose, sa nièce par alliance, corsetière diplômée et représentante de la compagnie.

« Joséphine a mis son armure » disait malicieusement mon père, en parlant de cet abominable sous-vêtement qui donnait aux femmes de taille forte, une allure de pigeon.

Quand l’une des nombreuses baleines (minces lames d’acier trempé) parvenait à glisser hors de la couture qui la retenait en place, pour s’enfoncer sauvagement dans un misérable bourrelet, l’incident provoquait immanquablement une douleur aiguë qui donnait à la victime, l’impression qu’on lui perforait les entrailles. « Il fallait bien souffrir un peu pour dissimuler les excès de table », soupirait la gourmande.

Pour revenir au coup de fil montréalais, une fois la parenté de Montmagny au garde à vous, il s’agissait de réserver les trois ou quatre « chalets » habituels qui allaient loger les vacanciers et devenir les témoins complices d’une journée inoubliable.

L’endroit était spectaculaire. À marée basse, la grève pavée de galets et jonchée d’épaves, invitait les vacanciers à se tremper les pieds dans des eaux glaciales laissant les chevilles rougies et engourdies tellement le froid était vif.

Si la chance était de notre côté, nous allions voir passer un paquebot, un transatlantique et, inévitablement, quelques goélettes ou des barges chargées de bois. Cet imprenable spectacle nous faisait rêver de départs et de pays lointains. Plus de chance encore, nous pouvions admirer une majestueuse Empress souvent pilotée, depuis Pointe-au-Père jusqu’à Québec par un cousin de maman.

C’était la belle époque. C’était avant la guerre 39-45. En les regardant glisser sur les eaux calme de notre Saint-Laurent, qui aurait cru qu’un jour, pas très lointain, ces imposantes cathédrales maritimes deviendraient les cibles de l’ennemi.

Revenons à des moments plus joyeux : aux pique-niques de tante Joséphine, à l’Anse-à-Gilles. Ce rendez-vous annuel au pays d’origine de mes ancêtres maternels avait le don de resserrer les liens familiaux déjà passablement tricotés serrés.

Tante Joséphine, l’enjouée, la bien nantie, apportait sa bonne humeur et son jeu de cartes. Quant à notre hôte par excellence, tante Rita, épouse du frère de mon grand-père, elle était immanquablement escortée de ses quatre célibataires de filles : Rose, Fleurette, Jeannette et Laure et ce, à la grande joie des oncles qui ne risquaient pas de s’ennuyer, à moins d’être aveugles, ce qui n’était pas le cas.

Notre pique-nique avait lieu, à la mi-août. Le mois par excellence pour faire bonne chère. Au menu, il y avait toujours le traditionnel bouilli canadien à base de lard salé entrelardé, ce qui lui donnait « un goût d’amande », disait notre cuisinière.

Dans l’immense marmite, (alimentée par trois ou quatre « Sterno » sorte de réchaud à l’alcool, nous n’étions pas encore à l’époque des barbecues) outre le lard salé, mijotaient différentes pièces de bœuf et de volaille, un gros chou, des carottes, du navet, de beaux oignons, rouges de préférence, des pommes de terre nouvelles et de petites palettes de fèves jaunes, ficelées en groupes de dix ou douze.

La coutume voulait que les adultes (j’ai bien dit les adultes) versent un filet de vinaigre sur le chou. J’adorais les observer quand il décantait le vinaigrier, laissant déverser juste ce qu’il fallait pour rehausser la saveur de la crucifère et lui donner un goût de revenez-y. Nous n’avions pas le droit d’en faire autant, nous, les enfants, de crainte d’en verser trop et de « ruiner » notre assiettée. Je conserve précieusement, dans une armoire, le joli vinaigrier de porcelaine nacrée de mon enfance.

Il y avait aussi la platée de pommes de terre servies en robe des champs, le maïs sur épis que l’on salait abondamment une fois enrobé de beurre.

Il ne fallait pas oublier les betteraves tendres et sucrées, servies fumantes, et le savoureux pain de ménage, cuit sur la sole, bien doré, chaud et odorant.

Une autre tradition culinaire de la famille : l’immense plat de faïence rempli de laitue frisée, fraîchement cueillie du matin, accompagnée de crème épaisse, et assaisonnée de sel de mer et de poivre frais moulu. Ce pur délice québécois était la spécialité de la cousine Rose, fille aînée de tante Rita. Nous l’appelions Ti-Rose
pour la différencier de tante Rose, la corsetière diplômée.

Fraises et crème fraîche, tarte au sucre, crème brûlée, pouding chômeur, autant de desserts au menu. Pour couronner ce repas gargantuesque, notre cuisinière de souche nous offrait son irrésistible tranche de pain de ménage, nappée de crème « épaisse à couper au couteau » abondamment recouverte de sucre du pays tout frais râpé.

Mon père était fabricant de moutarde. Ses produits portaient l’étiquette : « Golden Flow Mustard Mills » (la marque de fabrique dans la langue des affaires – l’anglais — était de mise au Québec dans les années 30-40) Il se faisait une joie de distribuer ses délicieux petits pots de moutardes aux fines herbes et autres variétés en plus de ses célèbres cornichons dans la moutarde, un pur délice que nous savourions accompagnés d’un croûton de pain tartiné de beurre de fabrique.

C’était aussi l’occasion de déguster son vin de cerises à grappes maison, dont les cousines raffolaient. Chaque année, dans le courant de l’été, nous allions aux cerises sauvages dans les Hauteurs de Montmagny. De retour, mon père préparait sa cuvée magique qu’il faisait fermenter dans une magnifique cruche en verre de Saint-Gobain, reposant dans un panier de jonc.

À mesure que la journée avançait, que le vin baissait et que le ton montait, on s’étonnait de constater que, d’année en année, cet élixir était de plus en plus exquis. « Un autre p’tit verre » pour en admirer la robe couleur rubis, pour vanter la qualité de la récolte et, bien sûr, féliciter mon père, lui attribuant le mérite de cette délectation annuelle.

Lorsque la tribu eut bien mangé, bien bu et bien ri, c’était déjà la brunante (le déclin du jour) tante Joséphine dont les chairs n’en pouvaient plus d’être compactées, d’un geste audacieux, toujours le même, se levait allègrement et déclarait à tout venant : « Excusez-moi, je vais, de ce pas, retirer mon violon » À l’époque, on appelait difficilement les choses intimes par leur nom. C’était le sort du corset.

L’exemple aidant, les cousines allaient en faire autant. À l’exception de maman qui avait conservé sa taille, toutes portaient cet accoutrement indispensable dont les vertus, prétendait-on, étaient de soutenir les « organes » (le ventre pour dire autrement).

Une fois les filles libérées de leur douloureuse étreinte et des traditionnelles corvées ménagères, les heures qui allaient suivre seraient consacrées aux cartes.

Tante Joséphine donnait ordre de préparer les tables de jeu. Cela supposait qu’aux quatre coins de chacune, il y aurait : sucre à la crème, tire à la mélasse (spécialité de maman) bonbons divinité de cousine Jeannette et les succulentes guimauves maison de la cousine Laure. Mes douceurs favorites.

Notre Majordome menait le bal. Sur-le-champ, sans même crier garde! Elle s’appropriait mon père, lui ordonnant d’être son partenaire. Au moins, s’il arrivait à la joueuse de tricher, étant à l’avantage des deux, elle pouvait compter sur la discrétion de papa. C’était une gagnante dans l’âme. Les façons d’y arriver étaient autre chose. « Une autre paire de manches », disait-elle.

On brassait les cartes, les distribuait. Puis la partie débutait. Un silence religieux régnait aux tables, mais pas pour longtemps.

« Charlemagne! » lançait soudain la diva en déposant sa mise sur la table, attrapant la première « sucrette » à portée de doigts. Il faut savoir que c’était bel et bien au Charlemagne que la tribu jouait. Surtout, ne me demandez pas les règles de ce jeu. Je les ignore.

Combien de fois ai-je entendu ce cri perçant, sorti tout droit de la plus grosse poitrine de toutes les cousines. Tante Joséphine était incomparable. Je vous l’ai déjà dit, je le répète, tante Joséphine était une gagnante de nature.

Soixante ans plus tard, les petits chalets de l’Anse-à-Gilles sont toujours là, campés sur la batture. Peints noir sur blanc comme à l’époque. Il faut faire exprès pour passer devant, maintenant que l’autoroute 20 nous amène tout droit en Gaspésie et que nous pouvons filer à 120km/heure. Disons 110 au cas où un agent de sécurité me lirait.

De ceux et celles qui ont fait les belles heures de ces retrouvailles inoubliables et inestimables, il n’en est plus pour nous livrer le secret de la « tire éponge », pour nous indiquer où trouver la crème fraîche qui se coupe au couteau ou pour brasser les cartes sans « reluquer » la couleur de celle du dessous. Avec le départ de tante Joséphine, notre rassembleuse familiale, de tante Rita, de sa tendre moitié et des cousines nous ayant quittés l’une après l’autre, nous faisons deuil de nos pique-niques annuels à l’Anse-à-Gilles.

Heureusement : se souvenir, c’est vivre…