
Mes histoires de canots ou d’embarcations sont rarement banales. Il y eut « Vogue la galère »; il y eut aussi celle de «Quand le bateau s’en va».Puis un jour, il y eut l’histoire plus mémorable encore, où par un beau dimanche d’été, nous « ancrons » solidement notre nouveau canot sur le toit de la voiture, pour aller descendre la rivière des Mille-Îles en famille : l’homme (le capitaine), moi, le (marin de baignoire) et nos trois moussaillons. Le but était noble : découvrir le charme de ce cours d’eau, ses méandres, ses jolis rapides, les rives qui l’escortent et le plaisir de voir notre environnement sous un regard neuf et émerveillé.
Ce ne fut pas le cas. Roulant allègrement sur la 15 (autoroute des Laurentides) vers notre destination, tout en chantant à gorge déployée notre bonheur-du-jour; Lawrence, dix à douze ans à l’époque, voit soudain un objet bizarre s’élever dans le ciel, et filer droit devant nous, poursuivant sa course folle au-dessus des trois lignées de voitures roulant à cent et plus à l’heure. Durant, d’interminables et horribles secondes, le canot nous rappelant l’histoire de la chasse-galerie (rien de moins) flotte dans les airs dans la trajectoire des voitures en dessous.
Le canot! s’exclame capitaine d’une voix catastrophée. Grâce au Ciel et à tous ses Saints, l’humble navire échoue en douceur sur l’accotement de l’autoroute avant même notre arrivée à ses côtés. Nous sommes bénis des dieux et heureux de rapatrier l’objet, cause de l’enfer que nous venions de vivre, en imaginant le pire désastre. À bout de souffle, le cœur en chamaille, nous rattachons solidement le bolide et rentrons au bercail remerciant Saint Christophe (étant à l’époque le Saint Patron désigné, pour la protection des voyageurs sur les routes), de nous avoir épargné de la pire des tragédies qui auraient pu survenir.

La mémoire est une faculté qui oublie dit-on. Pas plus loin que la semaine dernière, quelques membres de la tribu, capitaine et le marin de baignoire s’inscrivent pour une descente en canot de la majestueuse rivière du Diable, célèbre à Tremblant. Son lit caillouteux, ses eaux claires et poissonneuses, ses méandres ombragés, ses rapides bouillonnants sillonnés de berges sablonneuses qui invite les baigneurs, ses rives tantôt escarpées de rochers de granit, tantôt verdoyante de végétation riveraine.

L’excursion est organisée par L’Alliance pour une gestion intégrée et responsable du bassin versant de la rivière du Diable » Agir pour la Diable ».
Son coordonnateur Stéphane Perreault accompagné de guides et de bénévoles présente l’événement comme une occasion de « découvrir son milieu de vie d’un regard différent ». L’équipe sensibilisera les canoteurs tout au long de la descente de la rivière (13 kilomètres) aux enjeux de sa protection.
Pour revenir à cette « faculté qui oublie en parlant de la mémoire » j’avais oublié qu’il existe entre l’homme et moi, une incompatibilité existentielle quand vient le temps de ramer ou de pagayer dans le même réceptacle. Impossible pour nous deux de travailler en équipe et d’aller dans la même direction. Un jour aux Galapagos, assis dans le même kayac, au lieu d’avancer harmonieusement, nous tournions en rond. Ma mère aurait dit que nous nous tenions tête. Elle disait juste.

Pour revenir à la Diable. À deux kilomètres de la ligne de départ, au bout de nombreuses manœuvres, notre canot rebelle fonce inopinément vers un bosquet d’arbustes situé à fleur d’eau. Tentant de me libérer des branchailles qui m’obstruent le visage, en moins de deux secondes, le canot chavire et l’équipage (nous deux) aussi. Je m’y retrouve en dessous. J’appelle l’homme de ma vie, je crains le pire. Je ne l’entends pas. Sans que je sache, il me libère de l’entrave au-dessus de moi. Grâce aux vertus de mon gilet de sauvetage, je flotte désormais comme un bouchon à la mer. Les yeux au ciel, je reprends mes sens et cesse de crier ou de hurler m’a-t-on rappelé discrètement. Pas question d’abandonner le (navire) s’est dit Capitaine qui tente du coup de rattraper le bouchon (sa moitié dans les circonstances)parti à la dérive, tandis, qu’en vain j’essaie de m’agripper à tout ce qui existe jusqu’à ce qu’une branche salvatrice me tende le bras.
La mésaventure se termine en beauté. Deux sauveteurs aguerris, Stéphane Perreault et notre guide André Labelle arrivent à notre rescousse. Ils ont tôt fait de nous prendre sous leurs ailes et de remettre le canot en état de rejoindre les autres canoteurs. Trempés jusqu’aux os, le sourire aux lèvres et la volonté de poursuivre l’excursion, nous reprenons notre descente bucolique. Cette fois capitaine pagaye dans le canot dirigé par Nicolas,le fiancé de Tanya, Sinead cède sa place au marin de baignoire qui se retrouve dans celui de Cindy, notre fille. Onze kilomètres plus tard, sous un soleil radieux et des paysages riverains beaux à couper le souffle, nous arriverons à bon port.

Tout sourire, nous avons remercié de tout coeur nos dévoués sauveteurs Stéphane et André, salué les dévoués guides, les bénévoles et les canoteurs complaisants et osé leur dire: À l’an prochain.
Quand le bateau s’en va Archives 22/06/2008
Voque la galère: Archives 15/10/2006