Pâques ne serait Pâques sans revoir ce Conte inédit d’Yves Thériault publié en 1976 et destiné aux lectrices de la Revue des Fermières.
Quand on avait mené le petit de la haute ville de verre et de béton vers les larges étendues vertes d’une lointaine campagne, on lui avait expliqué, presque mot à mot et sans le laisser digérer le nouveau savoir, qu’il trouverait à destination un homme vieux, aux cheveux blancs, doux et tendre, et que cet homme était son grand-père.
C’est mon père, avait dit la femme au petit, comme Charles est ton père tout autant qu’il est mon mari. Tu ne le connais pas. Il n’est jamais venu à la ville et nous ne sommes jamais retournés chez moi depuis ta naissance.
Qu’est-ce que c’est un grand-père? demanda l’enfant.
Écoute bien, et comprends : c’est plus que ton père ou ta mère. C’est quelqu’un de plus âgé que tu dois aimer et respecter.
Dès l’arrivée, le vieil Émery prit le petit et l’amena à travers ses domaines. Ce n’était là rien de riche ou d’immense ou d’impressionnant. Une simple ferme à l’ancienne, quelques vaches, des moutons, un vieux cheval pie, des poules et des oies dans la basse-cour et un grand potager.
Mais l’enfant n’avait vu de toute sa jeune vie que la ville implacable, les ciments et les asphaltes et restait songeur à regarder le vaste champ ou l’avoine aoûtée qui balancerait tout doucement un jour dans quelque faible brise. Et il verrait avec des yeux émerveillés, toutes les bêtes, toutes les plantes et dans le petit verger à côté de la maison, les pommiers à la large tête, les fruits commençants à rosir.
Il dit seulement, alors qu’il était à côté du bon gros chien: Je n’ai jamais pensé qu’il y avait tant de choses. Et il caressait la tête du bon gros chien qui se fermait les yeux d’aise et d’affection.
L’enfant aurait demain huit ans. Il fréquentait une école sévèrement privée, à la ville, de haut coût et de moderne attitude. Il y apprenait des sciences bien avancées pour son jeune âge, mais il avait, disait-on, un cerveau remarquable, bien capable d’absorber ce qu’on osait y insérer. Un jour, il serait un grand homme. Chacun, autour, s’ingéniait à atteindre pour lui ce but. Il serait un savant, un roi de finance ou un haut-gradé dans les hiérarchies humaines. Il serait bien au-dessus de tous. (Était-ce pour ce faire qu’on avait si longtemps tardé à lui révéler son grand-père, l’humble ferme et les moissons odorantes? Qu’avait-on donc omis d’enseigner à cet enfant qui soudain parlait tout bas et semblait atterré par le grand silence bruissant et doux qui l’entourait…?)
Mais le vieil Émery feignait de ne pas voir le trouble de l’enfant. Il l’amenait agacer le jars d’oie qui jouait au gardien des trésors en apeurant à la cantonade de sa voix aigre. Et il l’amenait à la clôture regarder les vaches paisibles, le taureau important et le cheval aux flancs solides qui broutait en paix.
Tu vois disait le vieux, c’est ma richesse. Et mes amis aussi. Depuis que ta grand-mère est morte.
Morte? qu’est-ce que c’est?
(On ne lui avait même pas enseigné la mort. Seulement la puissance possible, et jamais la faiblesse fatale.)
Elle n’est plus là, dit Émery, prudemment. Elle n’y sera jamais plus.
Jamais demanda l’enfant. Pourquoi?
Je t’expliquerai plus tard.
Il montrait les bêtes
Elles m’aiment beaucoup. Elles me le disent.
Elles parlent?
Elles parlent à leur façon, dit le vieux. Il s’agit de les comprendre
Et tu les comprends, toi?
Oui
L’enfant était de plus en plus songeur. Il semblait pousser à bout toutes les ressources de son cerveau pour assimiler les choses neuves et innombrables qui étaient soudain devant lui et qu’il n’avait jamais soupçonnées auparavant.
Sa mère vint, inquiète et empressée. Et son mari derrière elle.
Je crois qu’il est fatigué, dit-elle. Laissons-le se reposer un peu. C’est un bouleversement pour lui.
Alors le mari prit le guidon de la chaise roulante et il poussa péniblement le véhicule sur le sol raboteux jusqu’au gazon de façade, sous l’omble d’un vaste saule.
Il est mieux à la ville, dit la mère à Émery. Ici, il devrait être trop immobile. Chez nous, le béton est lisse, un autobus vient tous les matins pour le mener à l’école. Les autres enfants sont comme lui, en classe. Il n’est pas dépaysé.
J’avais, dit le vieux, un cheval boiteux qui aimait bien quand même se tenir avec les chevaux valides au pâturage. Peut-être que personne ne lui avait dit qu’il ne fallait pas le faire. Et l’homme pleura une larme qu’il essuya sans qu’il y paraisse. Et dès lors, il fit vœu de rechercher le miracle.
Il serait Pâques demain, renouveau, résurrection. Cela ne vaut-il pas une demande bien adressée?
Il fut donc soir et puis nuit agitée pour Émery, puis quand l’horloge à l’ancien timbre vibrant et envoûtant sonna la bonne heure, en bas dans la cuisine, alors que les parents citadins, drogués d’oxygène sans souillure dormaient bien creux au fond de leur sommeil, le vieil Émery se leva doucement, sans bruit, comme un esprit, enfila des vêtements, chaussa des bottes étanches et entra silencieusement dans la chambre de coin où dormait le petit. Il toucha l’épaule de l’enfant, insista jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux. Le petit inquiet, presque affolé, se redressa.
Qu’est-ce que c’est, dit-il? Qu’est-ce que vous voulez?
Ne dis rien, ne réveille pas les autres. Je t’emmène quelque part.
Il enveloppa l’enfant aux jambes inertes dans une épaisse couverture, le prit dans ses bras et descendit sans bruit avec lui. Il faisait encore noir.
J’ai peur dit l’enfant. Qu’est-ce que vous faites?
Il ne faut pas avoir peur, dit Émery, je suis ton grand-père et je t’aime plus que tout au monde.
Il n’y avait même pas de pâleur d’aube à l’horizon, mais le ciel avait un éclat différent, comme si, tout à coup, il avait été ,plus limpide, plus cristallin, et les étoiles avaient un scintillement vif, annonçant leur lente subjugation par le jour prochain.
Émery marcha rapidement, longea le pâturage des vaches et fut bientôt à un bosquet et derrière le bosquet, à un ruisseau affairé qui gambadait sur des roches. Là il posa l’enfant, toujours emmitouflé dans sa courtepointe sur un talus de mousse et s’accouda devant lui.
Écoute-moi bien, dit-il. Ce que je vais dire parle de miracle. Ta mère me disait hier soir que tu pourrais marcher un jour, si tu mettais toute ta volonté à essayer.
Je ne pourrai jamais dit l’enfant. Mes jambes sont trop molles. C’est fini.
Il n’y a rien de fini, dit le vieux. Il faut vouloir. L’enfant frissonna.
Qu’est-ce que nous faisons ici? Pourquoi m’avez-vous amené à ce ruisseau? Il fait froid.
Il y a le Bon Dieu dans le ciel, dit Émery. Et il avait un fils, Jésus qui a été crucifié et qui est ressuscité le matin de Pâques. Comme ce matin, mais il y a plus de deux milles ans. Et il est dit depuis ce temps, que si quelqu’un boit l’eau d’un ruisseau clair au moment où la première lueur d’aube apparaît, ses vœux seront exaucés. Regarde là, vers l’est.
Il y avait à l’horizon un infime trait de belle lumière rose, et comme ils regardaient tous deux, cette lumière se fit jaune. Dorée comme l’or le plus pur.
Alors le vieux prit la tasse d’étain accrochée à sa ceinture, puisa de l’eau et la donna à boire à l’enfant.
Fais le plus grand vœu de ta vie, dit-il. Il sera peut-être exaucé.
L’enfant but, les yeux fermés. Quand il eut avalé, il secoua lentement la tête.
Mes jambes sont encore moelles, dit-il. Comme elles le seront toujours. Il n’y a pas eu de miracle.
Mais le vieux souriait, benoîtement.
C’est selon, dit-il. Il y a bien des sortes de miracles.
Il prit l’enfant et le ramena à la maison, jusque dans son lit, pour qu’il se rendorme.
Plus tard, alors que la famille revivait et que l’on s’était attablé pour le petit déjeuner, l’enfant dit soudain, d’une voix ferme.
Je voudrais rester ici plusieurs jours, dit-il, une semaine et plus encore. Je crois que mon grand-père m’aidera. Je veux apprendre à marcher de nouveau. Je sais que je peux le faire.
Qu’est-ce que tu dis ? dit la mère. Tu n’as jamais voulu essayer. Tu avais peur de tomber et tu pleurais. Maintenant tu veux? Qu’arrive-t-il?
C’est que, dit le vieux, dans votre ville, il n’y a pas de ruisseau, il n’y a pas d’eau de Pâques et dans vos écoles, l’on enseigne seulement les sciences et jamais la confiance.
Et au petit, il murmura.
C’est selon, je le répète, il y a bien des sortes de miracles.
Quelle belle leçon de vie !!
Merci Pierrette !!
Belle journée à vous deux dans votre beau pays
Bisous des berrichons
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Cette foi qui soulève des montagnes;quand on la possède on ne craint rien.Bises à toute la grande famille
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ce grand père est un sage et cet enfant a reçu son message
c’est un beau conte
belle journée à vous deux bises
Brigitte
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Merci
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Merci du fond du coeur. Vos commentaires sont grandement appréciés. Au plaisir de vous lire .
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